REGARDER EN ARRIERE ET AVANCER, en d’autres termes tirer les enseignements de l’histoire pour éviter le perpétuel recommencement. Quelle contribution, nous, Avocats Européens Démocrates pouvons nous apporter à ce projet, de quelles vigilances devons nous faire preuve pour aller vers plus de droits fondamentaux et d’égalité chez nous, et entre les hommes, le monde étant aujourd’hui un vaste village.

Dans « Le monde d’hier » rédigé en 1941, STEFAN ZWEIG évoque sa rencontre avec Romain Rolland en 1913 et en rapporte sa conversation au sujet de « Jean Christophe », œuvre de Romain Rolland dont le héros incarne l’espoir d’une humanité réconciliée. Rolland devait lui expliquer alors avoir « essayé par cet ouvrage de s’acquitter d’un triple devoir en exprimant sa reconnaissance à la musique, sa foi en l’unité européenne et un appel à la conscience et à la raison des peuples. Maintenant, disait il, nous devions tous agir, chacun à sa place, chacun dans son pays, chacun dans sa langue. Il était temps d’être vigilant, de plus en plus vigilant. Les puissances qui poussaient à la haine étaient, en raison même de la bassesse de leur nature, plus véhémentes et plus agressives que les forces de conciliation… ».

L’histoire nous a enseigné ce qu’il en a été.

 

Quelques pages plus loin, évoquant l’ascension d’HITLER, et l’absence de crainte éprouvée par les citoyens, en 1933, il écrit : « quelles violences pouvait-il exercer dans un état où le droit était fortement ancré, où la majorité du Parlement était contre lui et où chaque citoyen de l’état croyait sa liberté et l’égalité des droits assurées par la Constitution solennellement jurée ? puis vint l’incendie de Reichstag, le Parlement disparut ; Goering lâcha ses bandes déchainées, d’un seul coup, tout droit était supprimé en Allemagne… » Personne ne pouvait croire à ce qui se produisait. Et pourtant…

 

La construction de l’Europe s’est faite pour éviter que les abominations de ces deux guerres mondiales ne se reproduisent. Il s’est agit de construire un espace de paix et de stabilité. Y est on vraiment parvenu ?

Depuis 1950, les accords se sont succédés, les alliances se sont multipliées, le nombre de pays concernés s’est élargi, d’autres frappent à la porte, pleins d’espoir…tandis que certains ont des velléités d’en ressortir, l’Europe leur imposant des règles économiques impossibles à tenir et mettant leur population à genoux, ou refusant les solidarités qu’elle est censée organiser…

 

Dans cette Europe de « paix et de stabilité » les mots n’ont pas le même sens pour tous ; les droits fondamentaux des uns se rétrécissent, tandis que la prospérité des autres s’accroit.

 

Les relations de l’Europe, sortie de la période de colonisation, avec les états tiers ne cessent de se complexifier au fur et à mesure que les circulations de populations s’accélèrent, intensifiées par les guerres, les violences, la faim, les désordres climatiques…

 

La montée de nationalismes se fait à nouveau sentir ; la peur de l’autre augmente ; le rempli sur soit s’accentue…et les libertés régressent.

 

Le rôle des avocats n’en est que plus essentiel, comme garants des libertés et des droits individuels et collectifs, mais aussi comme « lanceurs d’alerte ».

 

L’AED est née il y a trente ans, en octobre 1987, deux ans avant la chute du mur de BERLIN, lieu emblématique s’il en est. C’est à Berlin que nous nous retrouvons aujourd’hui pour célébrer les 30 ans de notre association.

Des avocats progressistes de six pays européens ont décidé, à l’initiative de Gérard BOULANGER, avocat bordelais, ancien président du SAF, d’unir leurs forces pour défendre les valeurs démocratiques, préserver l’indépendance des avocats à l’égard de tout pouvoir, qu’il soit politique, social, économique ou ordinal, préserver leur intégrité physique, politiques et économiques de manière à leur permettre d’œuvrer pour un véritable accès aux droits et aux juridictions nationales et internationales à tous.

 

Aujourd’hui des confrères de deux autres pays nous ont rejoints, la Turquie et la Grèce, pays particulièrement emblématiques des besoins de justice sociale et de liberté.

 

L’AED est une association d’associations et non de membres individuels.

Cette structure a permis la continuité pendant toutes ces années :  chez nous, pas de stars qui, un jour, s’en sont  allés et ont laissé ainsi mourir tant de mouvements sans lendemain.

Au contraire, nous avons tenté de cultiver une double et exigeante démocratie interne :  débats dans chaque association membre, et, ensuite à nouveau, débats à l’AED.

Des centaines d’avocats se sont engagés bien sûr à titre individuel, avec énergie et sans compter : les remercier ici tous sans pouvoir les nommer.

 

Notre vigilance et notre engagement se doivent de ne pas mollir. Rien n’est acquis, bien au contraire.

 

Nous voyons avec effroi nos pays européens s’unir pour organiser l’exclusion des hommes, des femmes et des enfants qui frappent à nos portes venant de pays dévastés. Nous voyons les ONG qui tentent de sauver des vies en Mer Méditerranée harcelées et empêchées dans leurs actions humanitaires ; nous voyons incriminés chaque jour, des citoyens qui n’ont rien commis d’autre que des gestes d’humanité et de solidarité. En France Cédric HERROU, agriculteur de la Vallée de la Roya, vient d’être condamné à 4 mois de prison avec sursis, par la Cour d’ Appel d’ Aix en Provence pour être venu en aide à des migrants désespérés. Il est placé en garde à vue plusieurs fois par mois, à titre d’intimidation…

 

Dans le même temps, des groupes d’extrême droite parviennent à lever des milliers d’euros pour affréter un bateau n’ayant pas d’autre but que de repousser et de renvoyer à la mort ceux qui tentent la traversée de la Méditerranée, sans que nos états n’interviennent d’aucune manière. Les situations inhumaines se multiplient dans nos villes , que se soit à CALAIS, à PARIS,à CEUTA et MELILLA, en Italie, en Grèce…même la situation des mineurs n’est plus traitée comme nous y sommes pourtant tenus par des textes nationaux et internationaux.

 

Est-il utile de rappeler que le « délit de solidarité », ou plus juridiquement « l’aide à l’entrée, au séjour et la circulation » de manière intéressée ou désintéressée constitue un délit depuis 1938 ! ah quand l’histoire s’invite dans le débat… Georges GUMPEL, 80 ans aujourd’hui, enfant juif caché, séparés des siens, orphelin d’un père mort dans un camp, a lancé le 21 février dernier le « manifeste des enfants cachés » déclarant « sans la solidarité de délinquants nous ne serions pas là ». Il ajoute : « les gens qui nous ont cachés et ceux qui aujourd’hui portent secours à ces exilés sont la conscience de la société civile, sa rigueur… »

 

Aujourd’hui en France, ces délinquants solidaires de la dernière guerre sont considérés comme des « justes », mais ceux d’aujourd’hui sont bien traités comme des délinquants !

 

Les accords passés avec la Turquie et bientôt avec la Lybie sont inouïs, confiant la gestion de NOS frontières à des états dont on ne peut ignorer les comportements.

 

Les avocats de l’ AED se sont pleinement engagés sur ces questions, dans chacun de nos pays.

 

Les droits sociaux des citoyens d’Europe sont dans le même temps chaque jour remis en cause : l’aide juridictionnelle de plus en plus contestée et réduite ; le droit du travail remis en cause au nom du libéralisme et du droit d’entreprendre ; la répression des mouvements sociaux et le recul des libertés justifiés au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme…chacun s’accoutume à moins de liberté.

 

Les avocats de l’ AED ne s’y habituent pas. Ils ont fondé la « legal team europe », réseau international d’avocats pour la défense des manifestants lors de sommets du G 8 ou de Conseils Européens ; ils ont été partie civile dans le procès de Gênes, par la voix de Gilberto PAGANI notre ancien Président ; ils participent au réseau européens d’avocats en droit du travail ; ils ont menés des actions pour sauvegarder l’accès aux droits des plus faibles…

 

L’ AED se doit évidemment d’assurer une veille relative à la sécurité des avocats et d’organiser la solidarité quand elle est remise en cause. C’est ainsi que depuis de nombreuses années nous avons organisé la « journée de l’avocat menacé », chaque 24 janvier ; un certain nombre d’associations et d’organisations professionnelles nous ont rejoint dans cette démarche et nous ne pouvons que nous en réjouir.

 

Notre attention s’est portée sur la situation de nos confrères, en Colombie, en Turquie, en Iran, aux Philippines, en Chine, au pays Basque, au Honduras…

 

Disons clairement que cette dernière année a été particulièrement préoccupante pour le sort réservé à nos confrères turcs, défenseurs des droits de l’homme et des libertés fondamentales, auxquels nous tenons à réaffirmer ici notre totale solidarité et soutien et à rendre hommage à leur courage.

 

Ce colloque doit être l’occasion de nous renforcer mutuellement, de nous remotiver si nous en avons besoin, de nous conforter dans notre besoin de liberté et de solidarité et de repartir chacun chez nous forts de la phrase de ROMAIN ROLLAND : « nous devons tous agir, chacun à sa place, chacun dans son pays, chacun dans sa langue. Il est temps d’être vigilant, de plus en plus vigilant ».

 

 

 

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